dimanche 24 juin 2012

Lucienne JEAN : le CRIF va-​​t-​​il faire la loi dans nos Universités ?


Voici un incident (mais le terme n'est-il pas trop doux?) où on essaie d'interdire la parole au lieu de chercher à ouvrir le débat !
Je transmets ici un message d'adhérents du CACGL qui ont été confrontés à une situation semblable : ils faisaient partie de ces citoyens dangereux  qui voulait écouter Stéphane Hessel à l'Ecole Nationale Supérieure en janvier 2011...
Faut-il le préciser : je suis aussi scandalisée qu'eux ; de plus j'aime beaucoup l'une des dernières phrases du professeur Oberlin : le fait d'être élu à un poste de responsabilité (universitaire ou associative ou municipale,) donne la légitimité mais pas la compétence : on devrait imposer à tout élu une formation adaptée aux responsabilités qu'il va devoir assumer. 
Mais voici la réaction de l'association France-Palestine (puisque le problème n'existe que parce qu'on ose parfois parler de la situation humanitaire à Gaza)  et la lettre ouverte du professeur Oberlin à sa ministre de tutelle ; peut-être vous dire avant que le CRIF est le "Conseil Représentatif des Institutions Juives de France" : il ne représente donc pas "les juifs" en général ni Israël...

AFPS, dimanche 17 juin 2012
L’Association France Palestine Soli­darité tient à exprimer sa plus vive inquiétude et son indi­gnation face à la situation qui prévaut à l’Université Paris-​​ Diderot.
En effet, dans le cadre d’un examen sur la médecine huma­ni­taire, le pro­fesseur Chris­tophe Oberlin ayant choisi un cas de figure réel se déroulant au Proche-​​Orient, ceci dans le but de sou­mettre à la réflexion des étudiants cette situation en terme de clas­si­fi­cation rela­ti­vement au droit inter­na­tional, est l’objet – sur injonc­tions reven­di­quées du CRIF auprès du Pré­sident de l’Université – d’accusations graves et d’une enquête dili­gentée par l’administration.
Il n’est pas tolé­rable ni acceptable que le CRIF veuille décider de ce qui est « bien » ou « mal » dans l’exercice du métier d’enseignant et que ses pres­sions puissent avoir des effets sur les ensei­gnants qui ne dérogent pas au principe de laïcité ni à celui de neutralité.
L’époque où l’on gommait des épisodes de la vie de tel ou tel pays est ter­minée tandis que le CRIF n’a aucune légi­timité pour intervenir de la sorte.
Nous assurons le pro­fesseur Chris­tophe Oberlin de notre soli­darité et nous en appelons au ministère en charge pour qu’il récuse formellement cette « chasse aux sor­cières » indigne, scan­da­leuse et contraire au droit.



Lettre Ouverte à la Ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur

Christophe Oberlin, Professeur à l’Université Paris VII, mardi 19 juin 2012
« Conster­nation, contra­vention à l’esprit de neu­tralité et de laïcité, vive émotion des étudiants et des ensei­gnants »… La presse s’en saisit, des mil­liers d’internautes réagissent, des sanc­tions sont demandées. Diable, de quoi s’agit-il ?
Ensei­gnant à la faculté de médecine Denis Diderot à Paris, j’ai depuis plus de trente ans par­ticipé en parallèle à mes acti­vités de chi­rurgien et d’enseignant, à des acti­vités de type huma­ni­taire. Et c’est à ce titre que les étudiants en médecine de la faculté sont venu me trouver il y a quinze ans : « Nous fondons une asso­ciation huma­ni­taire, donnez-​​nous des idées et des projets ». Quinze ans plus tard près d’un tiers des étudiants partent ainsi en mission au cours de leur cursus, cer­tains pro­grammes que j’ai initiés fonc­tionnent tou­jours, et cer­tains de ces étudiants tra­vaillent à temps plein dans de grandes ONG.

Ce sont les mêmes étudiants de la faculté qui sont venus me voir il y a trois ans : « La faculté vient de créer des cer­ti­ficats optionnels, lancez un cer­ti­ficat de Médecine Huma­ni­taire ». Et ce cer­ti­ficat optionnel fonc­tionne depuis trois ans, avec un certain succès : 85 ins­crits cette année.
Alors de quoi s’agit-il ? Tout d’abord il s’agit d’un cer­ti­ficat optionnel. Per­sonne n’est obligé de s’y ins­crire. L’intitulé initial de ces cer­ti­ficats était : « cer­ti­ficats optionnels obli­ga­toires ». Ce qui signifie que les étudiants doivent obli­ga­toi­rement valider un certain nombre de ces cer­ti­ficats, mais que l’éventail du choix est plus large que le nombre à valider. La formule « Cer­ti­ficat Optionnel Obli­ga­toire » n’étant pas très heu­reuse, elle a été par la suite rem­placée par la formule « Cer­ti­ficat Com­plé­men­taire Obli­ga­toire ». Il n’en demeure pas moins que nul n’est obligé de s’inscrire au cours de son cursus au cer­ti­ficat de Médecine Huma­ni­taire dont j’ai la res­pon­sa­bilité. Quel est le pro­gramme ?
J’ai essayé de sortir du cadre des cours magis­traux de médecine où quelques étudiants mutiques se collent en haut de l’amphithéâtre, enre­gistrent le cours et le dif­fusent aux absents qui le « bacho­teront » la veille de l’examen. Le titre des ensei­gne­ments est d’ailleurs « Confé­rences ouvertes ». Vingt heures d’enseignement, dix cours de deux heures avec à chaque fois plus de trente minutes de dis­cus­sions avec les étudiants.
J’anime moi-​​même la totalité des cours et des dis­cus­sions, quels que soient les thèmes et les ora­teurs. Et mon message répété maintes fois aux étudiants est : « Laissez tomber vos crayons, on vous demande d’être pré­sents, d’écouter, de réfléchir et de par­ti­ciper ». Alors on écoute parler un psy­chiatre ou un jour­na­liste du choc psy­cho­lo­gique post trau­ma­tique.
Les nou­veaux enjeux de l’action huma­ni­taire sont évoqués. Des logis­ti­ciens parlent de l’approvisionnement en eau, des médecins de l’hygiène dans les camps de réfugiés, de la trans­fusion san­guine, de la gestion d’une phar­macie impro­visée.
Il y a des cours tech­niques sur le trai­tement des frac­tures ou l’anesthésie en situation pré­caire. Mais aussi des sujets plus généraux comme « Médecine huma­ni­taire et for­mation », ou encore « Huma­ni­taire et déve­lop­pement » ou « Huma­ni­taire et culture ». Ou encore « l’Humanitaire hexa­gonal » : eh oui, dans la France du XXIème siècle, une partie de la médecine de soins et de pré­vention reste le lot des orga­ni­sa­tions huma­ni­taires…
Et un cours, donné par un membre che­vronné d’Amnesty Inter­na­tional, est évidemment consacré au Droit Huma­ni­taire. Ainsi les étudiantes et les étudiants (il y a une forte majorité féminine, et c’est d’ailleurs celle-​​ci qui par­ticipe le plus, et de loin, aux dis­cus­sions) ont la chance de pouvoir côtoyer et tisser des liens avec des ora­teurs et ora­trices de premier plan : ancien pré­si­dents cha­ris­ma­tiques d’associations mon­dia­lement connues, ancien directeur de l’Institut de Veille Sani­taire, membre fon­dateur d’une asso­ciation ayant reçu le prix Nobel de la Paix, excusez du peu !
Et cet ensei­gnement dure depuis trois ans, avec assez peu de modi­fi­ca­tions d’une année à l’autre, liées essen­tiel­lement au fait que j’ai d’autres sujets inté­res­sants et d’autres ora­teurs de talents à intro­duire.
Alors évidemment qui dit ensei­gnement uni­ver­si­taire dit contrôle des connais­sances. Ce n’est pas un examen sélectif qui est proposé. Tout étudiant qui est sim­plement venu aux cours en ressort avec un bagage suf­fisant pour pouvoir passer l’examen avec succès.
Ainsi, pour la session de juin de cette année (les copies ont été cor­rigées avant la polé­mique), 80 étudiants sur 85 sont admis. Il y avait quatre ques­tions : deux ques­tions courtes « tech­niques », sur quatre points chacune. Deux ques­tions longues, sur 6 points. La pre­mière : « Comment monter un projet huma­ni­taire » et la seconde : un cas pra­tique de droit huma­ni­taire tiré d’un rapport d’Amnesty Inter­na­tional et déjà utilisé pour l’enseignement dans les facultés de Droit.
Cas pra­tique qui avait été pré­senté sous forme stric­tement iden­tique et discuté en cours, dans la plus grande sérénité. Les cas pra­tiques, appelés « cas cli­niques » sont lar­gement uti­lisés pour l’enseignement et les évalua­tions en médecine (comme pour l’examen final de fin des études médi­cales, le clas­sique « internat »).
De même que les ques­tions à choix mul­tiples où d’ailleurs aucune des pro­po­si­tions pro­posées par le jury d’examen n’est néces­sai­rement exacte. L’avantage des cas pra­tiques par rapport aux Ques­tions à Choix Mul­tiples est qu’on demande à l’étudiant de dis­cuter chacune des réponses pos­sibles, ce qui lui donne l’occasion de montrer ses connais­sances et sa capacité d’analyse. Dans ce cas il ne s’agissait donc pas d’un QCM. Il était même précisé dans l’intitulé : « Question longue ».
Alors, que ce cas pra­tique, transmis par un étudiant anonyme (étudiant du cer­ti­ficat ou pas ?) au CRIF ait produit une réaction du même CRIF, rien de plus banal. Il y a long­temps que nom­breux sont ceux, notamment dans le milieu des médias, qui font abs­trac­tions de ses outrances, et ce sera bien mon attitude.
Par contre, qu’un pré­sident d’université, sans avoir étudié l’enseignement dis­pensé, sans avoir contacté l’enseignant res­pon­sable, sans infor­mation autre que celle du CRIF, se per­mette de s’adresser en urgence à la presse, pose un premier pro­blème. Et pour dire quoi ? Condamner un ensei­gnant, parler de devoir de réserve et d’atteinte à la laïcité, pro­vo­quant le rire de tous les étudiants en droit de France !
Son inter­vention est évidemment poli­tique, et s’il est un devoir de réserve, le pré­sident devrait sans doute montrer l’exemple ! Mon travail huma­ni­taire dans de nom­breux pays et depuis des décennies est connu. Mon travail à Gaza l’est aussi, ainsi que mon témoi­gnage, qui a fait l’objet de plu­sieurs livres.
Le dernier en date, « Chro­niques de Gaza », est sorti il y a plus d’un an. Il a fait l’objet de plu­sieurs dizaines de confé­rences en France et à l’étranger, dans des locaux asso­ciatifs, des biblio­thèques, des mairies, des uni­ver­sités, des grandes écoles, sans pro­voquer le moindre incident !
Et cependant, il y a à peine quelques semaines, une confé­rence, annoncée publi­quement depuis plu­sieurs mois, devait avoir lieu un soir au lycée de Lannion (sous-​​ pré­fecture des Côtes d’Armor). La veille le recteur de l’académie de Rennes a interdit cette confé­rence au motif « qu’il s’agissait d’une période élec­torale » ! Je ne savais pas que Gaza était un enjeu élec­toral à Lannion ! J’ai envoyé au recteur mon livre et une lettre aimable, dont j’espère recevoir une réponse. On voit en tous cas que, faute de pouvoir s’attaquer à mes écrits, on s’attaque à la personne.
Cette affaire excessive soulève plu­sieurs ques­tions. La pre­mière est celle de la for­mation des res­pon­sables admi­nis­tratifs uni­ver­si­taires. Une for­mation minimum devrait sans doute être exigée dans les domaines de l’administration, de la gestion des res­sources humaines, de la com­mu­ni­cation et du droit.
On ne peut être surpris de décla­ra­tions absurdes pro­venant d’une per­sonne, sur­ement talen­tueuse, qui a passé une grande partie de sa vie à rédiger une thèse de phy­sique sur « la théorie des avalanches » !
L’autre question sou­levée est celle du droit d’enseigner, inscrit dans la consti­tution fran­çaise, mais ceci est une autre affaire.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Voici un incident (mais le terme n'est-il pas trop doux?) où on essaie d'interdire la parole au lieu de chercher à ouvrir le débat !"

"le fait d'être élu à un poste de responsabilité (universitaire ou associative ou municipale,) donne la légitimité mais pas la compétence "

Tout à fait d'accord avec vos propos, encore faudrait il que vous puissiez vous rendre compte qu'il n'est nul besoin d'aller chercher bien loin puisque nous avons un cas concret dans le LYS ou le dialogue est impossible et ou on salit les "détracteurs" qui ont des idées différents des votres

quant à la légitimité des elections .... et des compétences ?