lundi 27 février 2017

Lucienne Jean : la tendresse vaut mieux que la peur et la haine

Je devais écrire un article sur l'après conseil municipal du 8 février.
Budget rejeté, projets enterrés, citoyens inquiets, sidérés devant les paroles échangées, la non-écoute et le mépris constatés.
Solutions possibles encore : un autre budget, un retour aux urnes, un miracle peut-être...
Mais voilà... Marianne a trouvé ou retrouvé un poème. Elle l'a envoyé à Hervé et à d'autres peut-être. Hervé me l'a envoyé et à d'autres aussi.
Et le voici pour vous, pour nous, si beau, si vrai :

Etranges Etrangers

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue
soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez,
même si vous en mourez .


L'auteur ?  Jacques PRÉVERT  bien sûr ! dans Grand bal du printemps
(La Guilde du Livre,1951 ; Éditions Gallimard,1976 )
  

Vous pouvez entendre ce poème dit par Jacques Prévert en cliquant ICI  

Et pour rester dans la réalité ou du moins une possible réalité, allez voir le film Chez nous de Lucas Belvaux :  ce sera dur de passer de la tendresse à la peur et la haine. Mais c'est pour bien se motiver contre les manipulateurs de peur et de haine et pour la vie !

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